"En neuf symphonies, Beethoven a tracé la voie à la musique. Il a montré la voix à beaucoup de musiciens qui se sont cassés la figure en route, à bout de souffle et à court d'idées. Tout ce qui danse dans notre bas monde n'a pas le droit de méconnaître la Symphonie en la, dite la Symphonie de la danse, et qui ferait danser les pierres si l'on pouvait les chausser.
Tous les musiciens qui viennent après lui ont le complexe de Beethoven, ce désespoir romantique des ventres affamés qui tendent l'oreille, et c'est le seul véritable hommage qui puisse lui être rendu. Un hommage de tous les instants, de toutes les pulsations, un tête-à-tête permanent devant les pages blanches, indifférentes comme la matière, pâles comme le devenir. Les crampes de la pensée inerte sont trahies et défigurées par la main habituelle, automatique, professionnelle. On écrit de la musique aujourd'hui comme le maitre d'hôtel écrit des additions. Cela fait en définitive, un compte qui ne satisfait que celui qui en retire les petits avantages succincts et immédiats. La musique était une dame; elle est devenue un petit commerce à peine considéré et un laboratoire, genre petite boutique, pour jeunes diplômés à l'affût. Mais la seule idée de Beethoven empêche tout ce joli monde de dormir, et c'est une satisfaction qui vaut son pesant de doubles croches."
Léo Ferré, Emission Musique Byzantine sur Paris-Inter, octobre 1953 - juillet 1954