Cet été, à l'occasion de son bicentenaire, je vous proposais une émission consacrée au massacre de Peterloo, nom donné à la répression barbare dont furent victimes, le 16 août 1819, les participants et participantes à un meeting rassemblant plus de 60.000 personnes, pour la plupart issues de la classe ouvrière, dans le centre de Manchester. Une quinzaine de personnes tuées, plus de six cents autres blessées. Deux cents ans plus tard, que reste-t-il de Peterloo ? "Follow me !"
Manchester est une ville marquée depuis quelques décennies par une très forte gentrification de son centre (rien d'illogique à ce qu'elle soit la ville qui, derrière Londres, compte le plus grand nombre de personnes sans-abri). Il va sans dire que l'ordre bourgeois qui règne ici se fout pas mal de la mémoire ouvrière de la ville. Atténuer la vigueur des mobilisations ouvrières, effacer les traces de son histoire, ou celle de la féroce répression que, souvent, elle lui opposa, sont des choses que la bourgeoisie s'est toujours appliquée à faire - et cela demeure.
En 1840, alors que les cendres de Peterloo sont encore chaudes, le pouvoir local décide qu'un bâtiment sera construit sur le lieu du massacre pour y
A Manchester, ils obtiennent du pouvoir local le droit de construire un palais dédié à leur idéologie (financé par une souscription publique), à l'endroit précis du massacre dont furent victimes hommes, femmes et enfants de Peterloo. Ce bâtiment trouve sa forme définitive en 1856, et porte la dénomination de Free Trade Hall. Comme dit mon père, c'est un peu leur sacré-coeur (pas de majuscule, permettez) à eux.
Racheté par la ville en 1920, il sera transformé en salle accueillant quelques meetings politiques mais surtout des concerts : de musique dite classique dans un premier temps (l'Orchestre Symphonique de Manchester y réside et s'y produit), de pop et de rock plus tard (les Sex Pistols y donneront un concert mythique le 4 juin 1976).
Privatisé en 1997, il est devenu en 2004... un hôtel de luxe.
Une plaque commémorative est tout de même apposée sur sa façade. Elle rappelle la répression qui se déroula le 16 août 1819, le nombre de morts et de blessés (ne dit cependant pas qui donna l'ordre à la cavalerie de charger). Cette plaque a été changée récemment. La précédente, apposée jusqu'en 2007, se contentait de mentionner le fait qu'un leader radical avait prononcé un discours et que les 60.000 personnes rassemblées pour l'écouter avaient été dispersées. La bourgeoisie et la mémoire ouvrière, hein ?..
Le 14 août dernier, au croisement de Lower Mosley Street et Windmill Street, devant l'ancienne gare centrale de Manchester (devenue un palais des congrès), a été inauguré un monument dédié à la mémoire des victimes du massacre de Peterloo, le Peterloo Memorial. Il est signé de l'artiste Jeremy Deller.
Sur ses flancs sont gravés les noms des personnes tuées ce jour-là, ainsi que les localités dont elles étaient originaires.
Sur son sommet sont mentionnés quelques lieux et dates de moments répressifs marquants par leur violence, un peu partout dans le monde. Il est notamment fait référence à la place de l'Opéra en 1961. Le jour n'est pas précisé, mais c'est dans le quartier Opéra que débutèrent les violence policières qui donnèrent lieu au massacre de centaines d'algériens et de maghrébins le 17 octobre...
Ironie - ou cynisme - du sort, un peu plus d'un mois après l'inauguration de ce mémorial, le Manchester Central Congress Machin-Truc accueillait le congrès du Parti Conservateur. Au point où l'on en est, il n'est pas impossible qu'un orateur torie y ait fait référence...
Le Musée de l'Histoire du Peuple (musée dont je vous ai déjà parlé - "peuple", notion dont on reparlera) consacre, depuis le 23 mars dernier et jusqu'au 23 février 2020, une exposition temporaire à la mémoire du massacre de Peterloo. Manquant un brin de consistance, c'est dommage. Mais, malheureusement, bien peu d'initiatives ont été prises pour commémorer Peterloo.
A l'extérieur du musée, l'artiste Axel Void a réalisé cette oeuvre d'art en hommage à Peterloo, un hommage qu'il rend "aux sacrifices des individus ordinaires, à ceux et celles qui n'ont rien et qui donnent tout, qui se battent contre l'injustice".
On reparle de tout ça lundi soir.
Nuit Noire "ici, ailleurs, ou autre part" - lundi 28 octobre, 0h30 - Radio Libertaire
D.